Violentomètre : pas de zone orange
La version originale du violentomètre me mettait mal à l’aise. Je trouvais l’idée géniale mais le résultat me paraissait presque dangereux. Pour autant, j’avais du mal à formuler clairement ce qui me gênait.
L’affaire Quatennens et les réactions de ses défenseurs m’ont permis de clarifier.
Je suis donc partie de la fameuse gifle donnée par Quatennens, dont il a semblé pertinent à ses soutiens de déterminer si oui ou non elle était acceptable : en substance, le fait de gifler sa femme une fois, après l’avoir bousculée, après l’avoir harcelée et lui avoir pris son téléphone, est-il à mettre au même niveau que le fait de “battre [sa femme] tous les jours” ? Cette question donne à croire que les violences conjugales doivent être hiérarchisées.
Elles restent considérées comme un ou des actes commis à un instant T, dont il conviendra d’apprécier ou non la justification en fonction de l’intensité et de la fréquence des gestes.
Les violences conjugales ne sont pas appréhendées dans le cadre d’un continuum, et c’est regrettable, voire criminel envers les femmes victimes : on continue en effet à leur faire croire qu’il existerait des comportements pas tout à fait normaux mais pas tout à fait violents, qui constitueraient, dans la relation de couple, une étape démocratique où il est encore possible de rétablir un fonctionnement “normal”, la vigilance étant bien sûr à la charge de la victime.
C’est là tout le problème de la zone orange du violentomètre : elle nie le fait que les violences sont un continuum.
La zone orange ne devrait pas être le lieu ou le temps de la vigilance : la zone orange, c’est déjà la violence. Il n’y a pas de gradation, il n’y a que deux états : soit il y a de la violence, soit il n’y en a pas. S’il y a de la violence, il ne peut plus y avoir de relation de couple démocratique. Plus jamais.
C’est parce qu’avant un coup physiquement porté sur la victime il y a eu des violences, que cette violence incarnée par le coup a pu se matérialiser. C’est parce qu’il est arrivé dans la continuité d’une situation progressivement installée et matérialisée par une escalade de violences innommées (le continuum), violences non considérées comme telles, subtiles et insidieuses, que ce premier coup s’abat.
Et c’est parce qu’on encourage toujours les femmes à négocier le niveau de violence acceptable dans le couple plutôt qu’à leur insuffler la tolérance zéro, en faisant d’elles les impossibles thérapeutes d’une relation décrite comme malade (d’un manque de communication dont elles seront les garantes, les coupables et les victimes, par leur propre faute), les poussant à dialoguer, comprendre et se mettre en état d’hypervigilance, qu’elles se retrouvent un jour à se demander si elles doivent porter plainte, alors que si on leur avait appris à rompre à la première violence, elles se seraient simplement demandé si elles devaient garder la table basse ou la laisser à leur ex. Et ça, c’est tout le problème de la zone orange.
Manuel Bompard, dans son récent communiqué, a d’ailleurs cru malin de mentionner le violentomètre pour justifier la hiérarchisation des violences conjugales (la zone orange) et pour relativiser la gifle par rapport à d’autres violences (toujours la zone orange !) : le simple fait qu’un homme puisse se prévaloir de cet outil pour relativiser la gravité d’un geste violent et justifier la gradation des violences au prétexte d’une réponse pénale proportionnée à chacune, est le symptôme du mépris de la société toute entière envers les femmes violentées par leur conjoint, compagnon ou ex-conjoint, mais aussi le symptôme de cette gangrène qui ampute les femmes de leur droit à dire stop, tout de suite, sans exception, et en toute légitimité.
Dans la vraie vie, il n’y a pas de zone orange. Il ne devrait jamais y en avoir. Voici mon violentomètre :
